miércoles, 13 de enero de 2016

JEAN PIERRE ROSNAY [17.890]


Jean Pierre Rosnay
   
Nacido el 8 de abril de 1926 en Lyon y muerto el 19 de diciembre de 2009 en París. Poeta francés. 
Su tío le inicia en la poesía a la edad de cinco años y desde entonces no dejará nunca de escribir. En 1941 entra en la Resistencia con la edad de 15 años, es hecho prisionero por Klaus Barbie en 1943. En este periodo traba amistad con Louis Aragon. En 1950 funda el movimiento JAR (Jóvenes Autores Reunidos). Dos años después encuentra a su musa, Tsou que será la inspiración de la mayoría de sus poemas De 1958 a 1982 realiza programas de radio y de televisión, en los cuales puede conocer a poetas de la talla de Louis Aragon, Pablo Neruda, Henri Michaux, Octavio Paz, Ana Blandiana, Vinicius de Moraes, Saint-John Perse, y otros. Organizador de festivales de poesía y creador del Club de los Poetas (1961) y del Cyberclub de los Poetas (1996). 





Orden del Día 

Mantener el alma en estado de marcha, 
mantener el contingente a distancia, 
mantener el alma por sobre la refriega, 
mantener a Dios como una idea cualquiera, 
un apoyo, una eventualidad, 
una comarca salvaje del universo poético, 
mantener las promesas de la infancia, 
mantener a raya la adversidad, 
no dar cuartel al adversario, 
mantener la palabra abierta, 
hacer pagar caro a sus debilidades, 
no dejarse arrastrar por la corriente, 
mantener su rango en el rango de aquellos 
que están decididos a mantener al hombre 
en posición estimable, 
no dejarse seducir por lo fácil 
bajo el pretexto de que los peores 
se elevan cómodamente al más alto nivel mientras 
los mejores difícilmente mantienen el camino, 
ser digno del privilegio de ser 
bajo la forma más lograda: el hombre. 
O mejor aún, la mujer.




Ordre du Jour

Tenir l'âme en état de marche
Tenir le contingent à distance
Tenir l'âme au-dessus de la mêlée
Tenir Dieu pour une idée comme une autre
un support, une éventualité,
une contrée sauvage de l'univers poétique
Tenir les promesses de son enfance
Tenir tête à l'adversité
Ne pas épargner l'adversaire
Tenir parole ouverte
Tenir la dragée haute à ses faiblesses
Ne pas se laisser emporter par le courant
Tenir son rang dans le rang de ceux qui sont décidés
à tenir l'homme en position estimable
Ne pas se laisser séduire par la facilité
sous le prétexte que les pires
se haussent commodément au plus haut niveau
et que les meilleurs ont peine à tenir la route
Etre digne du privilège d'être sous la forme la plus réussie: l'homme.
Ou mieux encore, la femme.



Voici

à Lou

Voici un cerf-volant dessiné dans le ciel
Tout un bas-relief d'aristoloches
Une motocyclette à l'ombre des subtilités aux
planches vermoulues

Voici des bonbons anglais dans un bocal
Du lait répandu devant la porte
Un crapaud dans le coin de la cave
(vous le voyez nous ne sommes pas seuls)
Un coq chante il débagoule que nous sommes condamnés
à toutes les indigences toutes les ignorances
toutes les inquiétudes
à toutes les folies

Voici le champ d'asperges et puis voilà la guerre
qui n'est vraiment passionnante qu'au cinéma
Voici le cerf-volant dessiné dans le ciel
Et puis voilà la guerre coprophage et puante

Voici des champignons paillotes des champs
Chant du sang de la terre

Voici le tournant qui revient sans cesse
le facteur de Chanteuges qui connaît le contenu
de chacune des lettres qu'il porte rien qu'au toucher
Quelqu'un parle d'avenir il dit ce que nous voulons
nous le pouvons
Il dit je t'écrirai plus longuement plus tard

Voici l'escalier qui semble n'avoir rien à voir avec la demeure
Un escalier patient comme sorti de terre
Et voilà notre soif qui nous départage dès l'aube
et fait parfois d'un arbre un cri d'ombre et d'oiseau

Voici l'escalier qui semble n'avoir rien à voir avec la demeure
escalier patient comme sorti de terre
Voilà cette femme d'avant qui parle près du poêle
qui parle de ses enfants partis qui reviennent sans cesse
dans la conversation

Voici les champs bordés de pissenlits
Voici la montagne traversée d'un âne les fusains
La maison fermée où nous ne dormirons jamais

Voici Madame de Warens dans l'esprit de
l'adolescent qui s'emploie avec son canif à tirer
une canne d'une branche de noisetier

Voici des faits divers sanglants douteux
Et puis comme un leitmotiv voilà la guerre
coprophage
et puante
Quelqu'un s'arrache de la foule et jette
Vive la Liberté
Qu'est ce qu'il dit demande le voisin
Ce n'est rien dit l'autre en haussant les épaules
encore un exalté

Voici l'auberge où la patronne répétait à son mari
Abrège abrège souviens-toi
Il ressemble à ( tu sais bien )
il me fait penser au petit de la fille de ( tu sais bien )

Voici ce que nous sommes et ce que nous étions

Voici la mer
La mer qui rend toute parole sublime et superflue
La mer cette entreprise cette machination de Dieu
Sa preuve sa négation sa géniale publicité
Et puis
voici la mer



Le Chemin


à Silvaine Arabo

   Le chemin n'était pas causant.
   Un arbre tous les deux cents mètres,un pan de mur dont on avait du mal
à reconstruire l'histoire.
   Une pancarte : Propriété privée - chien méchant.Et pas de propriété,pas
de chien.
   Un moulin sans elle,au fond d'un vague terrain vague.
   Le chemin n'était pas causant,interrompu subitement par une portée de no-
tes de musique - pas de soleil,pas de pluie,pas de neige,pas de vent,rien que
des remords,et toujours ce même mendiant - Vous n'auriez pas un bout de
pain?
La nuit était déjà bien entamée.Aucun espoir de découvrir la mer au tournant,
aucune illusion à se faire - depuis un long moment,je connaissais l'issue.
   Fermant les yeux,pour gagner du temps,je voyais d'interminables forêts
de cierges se consumer imperceptiblement,lentement,si lentement qu'on pou-
vait naïvement espérer leur échapper.
   Il n'y avait pas de femmes nues,à supposer qu'il y ait eu des femmes,elles
eussent perdu tous leurs attraits féminins,toutes leurs dents,toutes leurs grâces.
Les chats hurlaient comme des loups,les oiseaux se cognaient aux nuages et
tombaient dans l'infini comme de mauvaises nouvelles.
   Je suivais mon crayon,sans plus rien attendre de lui.Il était littéralement de-
venu fou - grisé d'inutile liberté et d'images curieuses - et je tournais,tournais,
dans les allées du cimetière,pour rejoindre ma tombe.
   Une fois encore,comme avant,je m'étais perdu.Soudain,j'eus peur que l'on
ne retrouvât,au matin,mon cadavre méconnaissable sur la tombe d'autrui - ou
sous la table,dans la petite baraque,où les fossoyeurs entreposent leurs outils et changent costume et chaussures,avant que de reprendre ( après avoir vidé quelques verres ),leur tâche jamais achevée.




LIGNE 7

                                                  à Daniel Repoux

   Il y a quelqu'un qui marche sur ma tombe. Si on ne peut pas être tranquille, même là !
   Maintenant, c'est acquis, Dieu est facultatif, pyramidal, pas trop volumineux. Ici, chacun a le sien en contre-bas.
   J'observe un lac gelé où coule un lent soleil noir. C'est sublime. Des chiens qui sont des loups mais qui heureusement ne le savent pas, poursuivent mon passé. J'ai enfin couché avec ma cousine, l'autre ne saurait tarder.

   Quelqu'un marche sur ma tombe et ça m'irrite. Mon éternel repos est troublé. Ce n'est pas un pas d'enfant, je m'en régale. Ce n'est pas le pas gauche et musical de l'amour sur le chemin du rendez-vous. Ce n'est pas le pas de celui qui va à la guerre ou qui en revient. Je connais bien ce pas, et même ce qui dis-
tingue le pas de celui qui s'en va défendre son petit fourniment d'idées, son ciel ou sa terre ( et moins elle est sa réelle possession et plus il la défendra ), du pas abject et mal sonore du mercenaire. Ce n'est pas le pas du savant ou du philosophe à la poursuite solitaire des idées.

   C'est le pas veule, de l'homme émasculé de sa spécificité d'homme, l'homme qui fait entrer des hommes dans son calcul. Celui qui dit à celui-là : il m'en faut quinze cents, là, faites le ramassage à l'aube, avec les autocars de la ligne 7. Si vous n'avez plus de Portugais, mettez-moi des Arabes.

   Il y a quelqu'un qui marche sur ma tombe. Le coq a relevé sa crête et lance son appel stupide et sans objet. Dans le tiroir, le couteau qui va lui trancher la gorge comme une poignée de joncs est prêt, le coq est blasphémé, et la poule picore mécaniquement des grains de pas grand-chose entre deux phrases.

   Il y a un lycéen qui entre dans mon poème.

   - Salut, jeune homme, tiens prends ça, ça, si ! N'hésite pas, je l'ai mis de côté durant ma vie pour toi.
Je t'attendais, ne me remercie pas. Il y a une lave qui coule de mon oeil gauche et quelqu'un qui marche sur ma tombe, quelqu'un d'inopportun, qui par sa présence m'offense profondément, jusque sous la terre.

   On ne devrait laisser entrer dans les cimetières que les enfants, les amoureux ou les orages, car rien ne m'est désormais meilleur que boire la pluie mêlée d'éclairs, sans lèvres et sans regard.


       
FRANCE

Ils disaient tous ma France
Ou la France éternelle
Et chacun te prenait un peu de plume à l'aile
Mais quand l'ennemi arriva
Les guérites étaient là
Et plus les sentinelles

Ils disaient tous ma France
Ou la France éternelle
Moi je t'aimais et je ne disais rien
Je n'avais pas seize ans
France tu t'en souviens

Ils disaient tous ma France
Ou la France éternel
Je n'ai rien dit moi j'étais trop enfant
J'ai pris le fusil de la sentinelle
Et puis c'est fini maintenant

France
Pardonne-moi si je te le rappell
Je me sens si seul par moments

Ils disaient tous ma France
Ou la France éternelle



ÉPITAPHE

Je ne suis né que pour quelques poèmes
Ma vie n'existe qu'en plein chant
Je les portais du bout des temps
Et je chantais à perdre haleine

Je discourais d'amour la nuit au pied des arbres
Et la nuit m'accueillait et la forêt m'aimait
Je ne veux sur ma tombe ni le fer ni le marbre
Mais je souhaite un ruisseau et quelques roitelets

Je ne veux rien sur ma dépouille
Rien qui puisse me rappeler
Rien qu'un peu d'eau pour les grenouilles
Et quelques enfants à jouer

J'aimais tant le chant des grenouilles
Glissant l'anneau d'or de l'été
Et les enfants mal décoiffés

Je ne suis né que pour quelques poèmes
Qui m'aime m'oublie par amour de moi
Rien n'est plus urgent que la vie
La vie qui fuit entre nos doigts



VERTIGE DE L'ÉCRITURE

   Un mot pour un autre - partir à la montagne - partir avec la montagne, avec la mer - se quitter un moment - se réveiller osier, nacre, poêle à frire - se retrouver dans les entrailles de sa mère - ne jamais avoir existé, ne pas avoir été compromis par la vie, par les autres, par soi.

   Il me faudra du temps pour oublier cette fâcheuse et tortueuse affaire, l'existence humaine. Qu'aurai-je vu ? Qu'aurai-je rencontré ? Pas même Dieu, me serai croisé à peine - trop pressé pour me reconnaître.

   Toujours comme une marée ce flot de sentiments brisés sur l'écueil, toujours cette réalité sans harmonie ni délicatesse, cette chute sans ailes dans un escalier sans marches, ce fond sans fin - je crois que j'en sortirai meurtri, marqué pour l'éternité.




COMME UN BATEAU PREND LA MER

              Je ne veux rien savoir
       Rien écouter et rien entendre
       J'élude le blanc et le noir
   Et j'ignore le vert le plus tendre
Je ne veux ce soir rien comprendre
 Mais te voir te boire et te prendre

    Je te prendrai comme un bateau prend la mer
    Je briserai les vagues
    Je te prendrai comme un oiseau fend l'air
    Je te prendrai comme on plante une dague
    Je te prendrai
    Comme un clochard arrache la monnaie au
                               fond de sa sébile
    Et comme mille avions bombardant une ville
    Je te prendrai comme on puise à la source
    Et comme le voleur dans le sang prend la bourse
    Je te prendrai
    Comme le jour qui balbutie entr'ouvre à demi
                                        la paupière
    Je te prendrai comme un moine dans sa prière
    Comme un voyou lançant sa pierre
    Je te prendrai comme on pend la sorcière
    Je te prendrai comme on peindrait sa mère
    Je te prendrai dans le coeur de ma main
    Comme un enfant comptant ses billes
    Ou peut-être au creux d'un chemin
    Comme un garçon et une fille
    Dans les senteurs du romarin
                   Je te prendrai mon doux chagrin

Poèmes extraits de " Femmes "





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